Le Paris des années 50 a offert un havre de liberté aux voyageurs afro-américains à une époque où la ségrégation raciale était encore légale aux États-Unis. Le guide « Paris Here I Come! », publié en 1953 par l’Afro-American Company, représente bien plus qu’un simple carnet de voyage – c’est un témoignage historique de cette liberté retrouvée pour la communauté noire américaine dans la capitale française.
L’héritage d’Ollie Stewart et son regard sur Paris
Ollie Stewart, né en Louisiane en 1906, n’était pas un auteur de guide ordinaire. Premier journaliste noir accrédité comme correspondant de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, il couvrit des opérations militaires en Afrique du Nord (1942), en Sicile (1943) et participa au débarquement de Normandie (1944). Ses reportages pour le journal The Afro-American, basé à Baltimore, lui valurent une certaine notoriété dans la presse noire américaine.
Après la guerre, plutôt que de retourner vers un Sud américain dominé par les lois Jim Crow, Stewart choisit de s’installer à Paris, au 7 rue du Laos, dans un immeuble Art déco à quelques pas de l’École Militaire et du Champ de Mars. Son guide, avec sa couverture jaune enjouée ornée d’un dessin au trait blanc de la Tour Eiffel, présente Paris comme « non pas un lieu, mais une façon de vivre — unique, vivante et sans inhibition ».
Le style d’écriture de Stewart reflète sa personnalité : chaleureux, spirituel et directement adressé au lecteur. Dans son introduction, il écrit : « Avec de l’argent, un compagnon, un bon estomac et une appréciation du bon vivre, Paris peut être l’endroit le plus satisfaisant au monde — même si vous ne parlez pas la langue ! »
Un guide révolutionnaire pour les voyageurs noirs
Ce qui distingue véritablement « Paris Here I Come! » des autres guides de voyage de l’époque, c’est qu’il a été écrit par un homme noir pour un public noir, reconnaissant ouvertement la cruauté raciale aux États-Unis en 1953. Stewart informe ses lecteurs de leurs droits en France : « Entrez simplement dans n’importe quel café qui vous plaît. Il n’y a pas de ségrégation en France — dans les restaurants ou tout autre lieu. »
Plutôt que de s’attarder sur le pays qu’il a quitté, Stewart encourage ses lecteurs à trouver du plaisir dans la Ville Lumière. Son chapitre « Paris After Dark » témoigne de son caractère non-discriminatoire et diplomatique :
« Ne connaissant pas votre situation matrimoniale, votre affiliation religieuse ou la taille de votre portefeuille, naturellement je ne pourrais pas vous dire quoi faire quand vous sortez vous détendre. Mais si vous êtes comme la majorité des Américains qui viennent à Paris, vous voulez voir quelque chose de coquin et faire quelque chose de coquin. »
Le guide propose des conseils pratiques adaptés aux besoins spécifiques des voyageurs noirs américains, allant de la recommandation d’emporter des bagages légers aux suggestions de lieux où ils seraient accueillis sans discrimination.
Les quartiers et établissements recommandés
Stewart guide ses lecteurs à travers différents quartiers parisiens, chacun avec son caractère unique. Voici quelques-unes de ses recommandations emblématiques :
- La Place Pigalle et Montmartre, décrits comme des lieux de divertissement adulte
- Le Dôme à Montparnasse, parfait pour « s’asseoir et regarder le monde passer »
- Les bouquinistes le long de la Seine, où l’on peut « s’asseoir sur un banc et somnoler au soleil »
- Le Champ de Mars et ses vues sur la Tour Eiffel
- Les cafés parisiens, symboles de liberté et d’égalité
Lieu | Description par Stewart | Signification pour les voyageurs noirs |
---|---|---|
Cafés parisiens | « Entrez simplement dans n’importe lequel » | Liberté d’accès sans ségrégation |
Le Dôme | « Regarder le monde passer » | Espace d’inclusion sociale |
Bords de Seine | « Somnoler au soleil sans critique » | Libération des contraintes sociales |
L’impact culturel et historique du guide
Ce mince volume de 30 pages représente bien plus qu’un simple guide touristique – c’est un document historique qui témoigne d’une époque où Paris servait de refuge aux intellectuels et artistes noirs américains fuyant la discrimination raciale. Dans le contexte de 1953, l’année même où se préparait l’affaire Brown v. Board of Education qui marquerait un tournant dans la lutte contre la ségrégation, ce guide incarnait un espoir de liberté.
À travers ses conseils sur les promenades parisiennes, Stewart écrit : « Se promener et se perdre est la meilleure façon d’apprendre à connaître une ville. » Cette philosophie reflète parfaitement l’expérience de nombreux expatriés noirs qui trouvaient à Paris une liberté de mouvement et d’expression impossible dans leur pays natal.
Pour les voyageurs afro-américains des années 50, ce guide offrait plus qu’une simple liste de sites touristiques – il proposait une vision alternative d’existence où la couleur de peau ne déterminait pas l’accès aux espaces publics. L’impact de cette perspective ne peut être sous-estimé dans une Amérique encore profondément divisée par la race.
L’héritage durable d’un guide visionnaire
Bien que certains conseils de Stewart soient désormais obsolètes – comme les recommandations sur les chèques de voyage ou les chapitres sur l’arrivée à Paris par bateau – l’esprit de son guide perdure. Son message principal résonne encore aujourd’hui : Paris comme symbole de libération personnelle et d’appréciation de la vie.
Stewart conclut son guide par une invitation aux lecteurs à profiter pleinement de chaque moment : « Le soleil brille et vous êtes vivant et que diraient les garçons à la maison s’ils pouvaient vous voir maintenant ? » Cette philosophie de vie témoigne de l’importance de saisir la liberté quand elle se présente, un message particulièrement puissant pour ceux qui en étaient privés aux États-Unis.
L’héritage de « Paris Here I Come! » s’étend bien au-delà de ses conseils pratiques. Ce guide a contribué à établir Paris comme destination privilégiée pour les voyageurs afro-américains, renforçant son statut de capitale culturelle alternative pour la communauté noire américaine. Des générations plus tard, ce petit livre jaune continue d’inspirer par sa vision d’un monde où la joie de vivre transcende les barrières raciales.